Note d’intention du réalisateur

LA GENÈSE

Lorsqu’on m’a proposé́ de reprendre le flambeau de Lastman pour une saison 2 (j’étais assistant réalisateur et monteur sur la première), j’ai tout de suite refusé. Nous avions construit toute la série pour qu’elle puisse être vue indépendamment de la BD, dont elle est pourtant le préquel. L’histoire était bouclée et, en livrant les épisodes, nous étions satisfaits d’avoir réalisé́ ce tour de force, et fiers du résultat. Il était temps de passer à autre chose. Ce que j’ai fait en travaillant sur le montage d’un long-métrage, en réalisant une mini-série post-apocalyptique et en commençant l’écriture d’un film d’horreur. 

Deux ans plus tard, Laurent Sarfati, le directeur d’écriture de Lastman, est revenu à la charge avec une proposition plus alléchante : Lastman « Heroes ». Un nouvel opus de la saga avec pour ambition de sortir du schéma immuable de la série à suivre en proposant un nouveau format : six moyens-métrages, changeant de point de vue, de genre. L’occasion pour un réalisateur d'expérimenter sa mise en scène dans six registres différents. Une aubaine... Bon, alors d’accord.

UN DÉFI DE TAILLE

La saison précédente permettait, avec sa structure feuilletonnante classique, d’aller crescendo dans la dramaturgie, jusqu’à l’apothéose finale. En explosant ce mode de narration, l’onde de choc doit à la fois assurer la cohérence globale de la série et cultiver les différences de chaque épisode qui doivent pouvoir exister seuls. 

Pour servir au mieux les changements de genre, la mise en scène assume pleinement et sincèrement les codes de chacun d’entre eux. J'apprécie quand un film ne s’excuse pas d’être ce qu’il est. Quand il embrasse son style presque au premier degré́, sans ce faux recul qui fait trop souvent tomber le quatrième mur. Les scènes éprouvantes ne sont pas désamorcées par un bon mot dans les épisodes dramatiques. Il n’y a pas de frein à l’absurdité́ et la démesure dans les épisodes plus « pulp », et l’action est jouissive et décomplexée. Tout pour permettre aux spectateurs de profiter pleinement de chaque ambiance de la série : de la comédie fantastique au drame policier en passant par la fresque épique ou l’épouvante. Le montage, les cadrages, l’étalonnage, le grain de l’image sont autant d’aspects à modifier pour ancrer chaque épisode dans son registre. 

Il faut assurer une certaine harmonie sur l’ensemble. Le récit est bien sûr le premier ciment de ces différents chapitres. Les épisodes sont interconnectés. Mais la mise en scène, bien que schizophrène, apporte un liant à l’ensemble. 

LA RÉALISATION

Mes goûts, mes envies transparaissent naturellement dans l’ensemble des épisodes et donnent la patte de la série. J’aime les contrastes, graphiques bien sûr, mais aussi rythmiques. J’aime les ruptures dans le montage et alterner la suggestion et l’exposition crue des événements.
J’affectionne le dessin réaliste, qui permet une mise en scène proche de celle en prise de vue. Il permet aussi d’assurer la cohésion entre les épisodes, et avec la saison précédente. 

Pour « Heroes » cependant, je prends plus de liberté́ avec le réalisme des décors. Par le jeu de perspectives faussées, des focales, d'aberrations architecturales ou de phénomènes physiques étranges, les décors sont traités comme s’ils avaient une volonté́ propre, un rôle à jouer. Comme s’ils étaient les avatars des puissances obscures qui manipulent la destinée des héros de l’histoire. 

NOTRE HÉROS 10 ANS APRÈS…

J’ai tendu un fil rouge sur l’ensemble du récit. Une ou plusieurs thématiques sous-jacentes. L’une est déjà̀ évidente : je me méfie de la figure du héros, de ce qu’elle cache. C’est pourquoi les personnages d’onde de choc ont des motivations bien éloignées de l’altruisme : la rédemption, l’orgueil, le pouvoir, la peur. Même Richard, archétype du héros, autour de qui tourne finalement toute la saison, est déchu. Tantôt boulet, tantôt obstacle, il est la cause invariable du malheur des autres. 

On le retrouve donc, dix ans plus tard, brisé, bouffi par l’alcool, se débattant dans un monde absurde comme peuvent l’être ceux de Polanski ou Verhoeven. Tomie cherche à s’affranchir de la main invisible qui régente sa vie dans une version mafieuse des noces rebelles. La terreur fera basculer l’existence de Marianne, digne héritière des héroïnes de Dario Argento. Il leur faudra de la force, de la ruse, du courage pour surmonter leurs épreuves, mais jamais vraiment d’héroïsme.

Jérémie Hoarau, réalisateur