C'est en homme serein mais encore meurtri par des années de cauchemar que Christian Iacono a accepté de nous parler de la série adaptée de son récit, Le Mensonge.
Pourquoi avoir écrit Le Mensonge ?
Cette accusation familiale d'une brutalité soudaine à laquelle je ne m'attendais pas du tout a été un choc qui a complètement bouleversé mes quinze dernières années. On ne mesure pas l'immensité de l'effondrement en 24 heures à cause du petit mensonge d'un gamin de 10 ans. Lorsque j'ai été acquitté il y a trois ans, je me suis dit que je devais écrire pour ma famille, mais aussi parce que je suis âgé. Je ne serai bientôt plus là pour répondre aux questionnements de mes enfants et petits-enfants. J'avais déjà raconté à mes proches et à mes amis intimes. Mais je tenais aussi à laisser un témoignage, alors j'ai écrit pendant une année, tout seul, avec mes souvenirs et les documents du dossier. J'y ai mis tout mon cœur en essayant d'expliquer à la fois l'erreur judiciaire – que je voulais absolument prouver – et la souffrance des êtres qui me sont chers. Je voulais raconter les erreurs de la justice pendant près de quinze ans, le drame que cela a provoqué dans ma vie intime, familiale, sociale et politique.
Du livre à la série, pouvez-vous nous expliquer les étapes ?
J'avais demandé à un ami éditeur s'il voulait bien s'occuper de mon manuscrit. On avait fait à l'époque quelques salons et je pensais en avoir fini. Par la suite, plusieurs personnes ont manifesté de l'intérêt pour mon histoire, mais, dès le départ, j'avais promis à un ami proche qu'il pourrait en faire une adaptation de film. Et aussitôt après mon accord, il a commencé à monter un projet en sollicitant l'aide de France Télévisions et en faisant appel au réalisateur Vincent Garenq, avec qui il avait déjà travaillé.
Comment s'est passée la rencontre avec Vincent Garenq ?
On est devenus amis. Vincent est venu plusieurs fois à Vence pour s'imprégner de l'atmosphère, interroger des personnes, lire les dossiers, voir les avocats. Il a pu rendre l'ambiance de l'époque grâce aux témoignages qu'il a recueillis. Il avait lu le livre, on a beaucoup discuté, beaucoup débattu. Il a construit une histoire qui s'inspire de mon récit en y ajoutant une part de fiction. Vincent a joué l'authenticité et la vérité : il a transposé à l'écran des phrases que j'ai pu dire lors de nos discussions. Je lui racontais mon amour de la Méditerranée et de la voile ; la scène du voilier, par exemple, avec l'enfant à la fin du premier épisode est vraie. J'aimais bien faire de la voile parce qu'il y a un horizon ; on ne sait pas ce qu'il y a derrière cet horizon et Vincent y a vu le symbole de mon affaire. Le 10 juillet 2000, j'étais au top à tous points de vue, 48 heures après, j'étais en prison parmi les détenus.
Quelles sont vos relations avec votre fils et votre petit-fils aujourd'hui ?
Il y avait un petit nuage au sein de notre famille : les relations avec mon fils n'étaient déjà pas bonnes avant cette affaire. Et depuis nous n'avons plus du tout de contact en dépit de quelques tentatives. Après sa rétractation et son aveu de mensonge, mon petit-fils m'a demandé de lui pardonner, ce que j'ai fait même s'il est plus difficile de pardonner à un adulte qu'à un enfant de 10 ans. Des amis proches me disent qu'ils ne comprennent pas comment j'ai pu le faire. Il avait 20 ans et il en a 28 maintenant, il a fait une bêtise et j'estime qu'il ne faut pas lui gâcher la vie.
La série porte sur l'importance donnée à la parole d'un enfant et fait écho à d'autres affaires judiciaires. Quel est votre sentiment ? Votre position ?
J'ai découvert qu'en France l'on ne sait pas recueillir la parole de l'enfant, qu'il soit victime ou témoin. Un peu partout en Europe, des pays ont adopté des protocoles à suivre proposés par une autrice canadienne. Je me souviens de la préface d'un livre de cette autrice signée par un psychiatre français qui regrettait que la France n'ait pas voulu suivre ces protocoles. Cette autrice est allée partout en Europe pour dispenser des cours, des formations pour aider le ou la gendarme ou policier(e) qui entend pour la première fois la parole d'un enfant. C'est important, primordial de savoir comment faire pour avoir plus de chances d'arriver à la vérité. Il avait été question de former des policiers, mais je crois qu'il n'y a pas eu de suite. Dans des histoires de cette ampleur, j'ai le sentiment que c'est une question de chance : soit on tombe sur quelqu'un qui a du bon sens, du discernement et qui arrive à démêler ce qui peut être vrai ou pas, soit on tombe sur quelqu'un à la sensibilité exacerbée ou qui passe outre la parole des autres...
Avez-vous vu la série ? Qu'en avez-vous pensé ? Votre famille ?
La série est très véridique, très juste sur le plan psychologique. Sur les faits, cette affaire a duré quinze ans, mais je comprends la grande difficulté de Vincent Garenq de réduire, de synthétiser en quatre épisodes. La traduction d'une écriture en image impose de modifier, resserrer et de faire des choix afin d'être bien compris par les téléspectateurs. Ma fille et ma femme ont trouvé que la série était très bien, même si elle a ravivé certains souvenirs pas très heureux évidemment. Mais j'admire le travail qui a été fait.
Propos recueillis par Mona Guerre