Filles du feu

Notes d'intention

Filles du feu

Nous descendons toutes et tous des Filles du feu, de celles qui n’ont pas été brûlées. En 1609, au Pays basque débute une des plus meurtrières chasses aux sorcières de France. Sur une terre de l’océan, à Saint-Jean-de-Luz, on brûle des femmes. Elles sont libres, elles ont la connaissance, elles guérissent.

Quand la productrice, Stéphanie Carrère, et ses auteures, Giulia Volli et Maïté Sonnet, nous apportent le projet, nous découvrons cette histoire, vraie. Elle nous déroute, elle nous intrigue, elle nous passionne. Pendant que la Faculté de médecine, réservée aux hommes, se développe, on sacrifie le savoir de ces femmes qu’on qualifie de sorcières. Les hommes partent plusieurs mois en mer, les femmes tiennent commerce, travaillent, assurent la vie. Aux yeux de Pierre de Lancre, juge et démonologue mandaté par Henri IV, leur indépendance est une insolence. Cheveux dénoués, elles mangent des pommes, parlent aux abeilles et écoutent la nature. Leurs fêtes accompagnent le renouveau des saisons et paraissent débridées.

Le tissage de la vérité historique et du souffle romanesque proposé par les auteures nous a séduites, cette réinvention des faits historiques portée par les trajectoires de trois sœurs qui luttent pour leur liberté et leur survie nous a convaincues. Très tôt, la réalisatrice Magaly Richard-Serrano a rejoint le projet, en a accompagné l’écriture et la conception. Décors, couleurs, ton, costumes, casting, mise en scène des liens organiques à la nature, musique, la réflexion et les échanges ont été riches et continus, de l’écriture au tournage et aux finitions. Au service d’une double ambition : rendre hommage à ces femmes et offrir à nos spectateurs une série qui les emporte, les émeuve et les questionne.

Quoi de plus essentiel que les épreuves de 1609 pour éclairer les combats d’aujourd’hui.

Anne Holmes, Fabienne Langlois, Carole Le Berre
Direction de la fiction française de France Télévisions 

 

Tout a commencé en 2018 par une rencontre à Contis, lieu de résidence d’écriture pour Maïté Sonnet et Giulia Volli, et lieu de tournage pour moi.

Sollicitée pour passer une journée de mentorat avec ces jeunes scénaristes qui travaillaient à la création de leur première série, je suis repartie avec l’envie de produire cette série, partageant leur enthousiasme pour ces faits oubliés, pour ce combat basque, pour toutes ces femmes « sorcières » oubliées.

En plein mouvement #MeToo, cette série me permettait d’accompagner leurs voix de jeunes scénaristes, leurs voix de jeunes femmes, car en racontant cette chasse aux sorcières, nous pourrions interroger les raisons pour lesquelles certains mouvements féministes reprennent corps dans notre société.

Mettre à l’honneur ces personnages féminins libres, aux croyances proches de l’animisme et égaux aux hommes, au même moment où notre rapport à la Nature nous interroge, où la liberté des femmes est attaquée partout dans le monde, où la sororité semble parfois divisée, nous a permis de partager notre passion de la fiction, de son souffle et de son pouvoir.

Avec les auteurs et l’équipe artistique de France Télévisions, Anne Holmes, Carole Le Berre et Fabienne Langlois, nous avons souhaité impliquer une réalisatrice dès le début de l’écriture afin de créer cette sororité professionnelle pour ce projet.

S’est jointe alors la voix de notre réalisatrice Magaly Richard-Serrano. Admirative de son travail dans ses films précédents axés sur des héroïnes combatives et résilientes, je lui ai proposé de nous rejoindre. Nos échanges ont nourri la série, nos débats ont permis de rajouter une dose de contemporain, jouant des anachronismes ou de nos désirs actuels.

Accompagner ces voix féminines avec toute une équipe mixte a été une sacrée aventure.

Car produire une série d’époque au bord de la mer durant la Renaissance est un vrai défi, un défi relevé par Magaly et sa troupe. Oublié le faste de Versailles ou les personnages célèbres, ils ont créé une série d’époque originale et modernisée, exploitant des décors naturels, comme la maison Ortillopitz (dont une jeune fille de la famille a été brûlée par le juge De Lancre), la grotte de Zugarramurdi, le fort de Socoa, le château royal de Cazeneuve, etc.

Tous les acteurs, l’équipe technique, les figurants, basques pour la plupart, tous ces hommes et femmes ont mis toute leur créativité, leur enthousiasme pour déployer cette histoire.

Car seuls les écrits du juge De Lancre sont restés, seule voix durant des siècles sur ce sujet. Et grâce à nos héroïnes, au romanesque de leur combat personnel et collectif, nous avons pu raconter le point de vue des Basques de l’époque, de ces femmes oubliées, raconter leurs espoirs, leurs amours, si similaires aux nôtres.

Cette série a permis à tout un « essaim » artistique de faire résonner leurs voix… Et d’ouvrir, nous l’espérons, la voie pour celles et ceux qui se battent aujourd’hui pour se faire entendre…

Stéphanie Carrère
Productrice, Kwaï

 

Réaliser Filles du feu est un rêve de petite fille fascinée par les sorcières et passionnée d’histoire depuis toujours. Mais parler des sorcières, c’est d’abord les réinventer car, dans les livres, il ne reste d’elles que les témoignages de leurs bourreaux et les clichés qu’ils véhiculent. Et que je souhaite déconstruire.

Devineresses, magiciennes, ensorceleuses ? Pour moi, elles étaient avant tout des guérisseuses, c’est-à-dire femmes-médecins ou sage-femmes, qui entretiennent un rapport magique au monde et à la nature… Mais, en réalité, beaucoup de femmes pouvaient entrer dans la catégorie « sorcière », pourvu qu’elles ne rentrent pas dans le moule. Symbole de subversion et d’émancipation, elles représentent la figure de la femme dangereuse car insoumise économiquement (veuves fortunées, artisanes), insoumise sexuellement (prostituées, adultères, lesbiennes), insoumise moralement (athées, savantes).

Des femmes que j’ai choisi de traiter comme des héroïnes contemporaines sans souci de véracité historique. Car les sorcières n’appartiennent pas au passé : au Pays basque, la chasse aux sorcières de 1609 est enseignée dans les écoles et beaucoup de jeunes femmes se revendiquent « sorguin ».

Et puis tout le monde le sait : les actrices sont des sorcières. J’ai eu la chance immense d’être accompagnée par une « bande de witchs » habitées par leurs personnages et concernées par le sujet. La complicité joyeuse avec leurs partenaires masculins a insufflé une énergie sororale, un esprit de troupe de théâtre extrêmement propice à la création.

Magaly Richard-Serrano
Réalisatrice