NOTE D'INTENTION DE MARC FITOUSSI, CO-CRÉATEUR, CO-SCÉNARISTE, SHOWRUNNER, RÉALISATEUR
GENÈSE ET ÉCRITURE
Au tout début, avant même que je n’arrive sur le projet, il y a cette belle amitié qui unit Dominique Besnehard et Marina Defosse, danseuse de cabaret connue sous le nom de scène Rita Xenon. C’est elle la première qui suggère à Dominique l’idée d’une série sur ce monde qu’elle côtoyait chaque soir. Elle s’essaye à l’écriture mais le projet n’aboutit pas. Et décède en 2020 d’une longue maladie.
Quelques années plus tard, Dominique et Michel Feller, son associé, continuent de caresser l’idée de faire une série sur ce sujet.
Au sortir de la saison 4 de Dix pour cent, ils m’en parlent et je repars de zéro, ne cherchant pas à lire ce qui avait été initié avant.
Ils m’accordent toute leur confiance et j’invente alors ce concept autour d’un cabaret parisien mythique passé de père en fils et qui aujourd’hui risque de fermer ses portes. J’imagine aussi ce personnage de Gaspard, patron démissionnaire qui va peu à peu renouer avec cette institution et lui redonner ses lettres de noblesse. Je m’associe ensuite à Edgard F. Grima et Jérôme Bruno, deux scénaristes-dialoguistes avec qui j’ai aimé collaborer sur la série sus-citée. Ensemble, nous nous retrouvons chaque semaine pour créer cette arène et donner vie à toute cette troupe de personnages qui gravitent autour de Gaspard.
L’écriture est longue, minutieuse mais rapidement le ton de la dramedy s’impose.
Un peu comme pour Dix pour cent et son agence de stars, il s’agit de dévoiler un monde que l’on croit connaître (ou dont on ne sait rien), de s’immerger dans un univers qui fait rêver afin d’en montrer l’envers du décor. Certaines scènes sont drôles, cocasses, d’autres plus tendres, émouvantes voire tragiques. Un équilibre qu’il faut en permanence maintenir et qu’on peut qualifier de doux-amer.
Si l’action se déroule principalement dans un cabaret, machine à fantasmes qui offre une échappatoire à la vraie vie, l’intrigue est on ne peut plus réaliste. L’accent est mis sur la sincérité, l’humanité et la force des liens qui unissent la troupe. On y parle naturellement de diversité, de tolérance, car, de tout temps, le cabaret est un refuge pour les parias, les saltimbanques et tous ceux qui se sentent rejetés et qui là peuvent pleinement briller, et s’y inventer une nouvelle famille.
Traiter du cabaret aujourd’hui, c’est aussi combattre quelques idées reçues. Non, la drogue n’y circule pas en permanence, les filles ne s’y prostituent pas et ne sont pas non plus sous le joug de dangereux malfrats. Nous savions donc que nous serions très différents de Pigalle, la nuit qui noircissait volontairement le trait, et où les personnages tutoyaient toujours le précipice, ou du film Showgirls, faisant du cabaret un milieu impitoyable où régnaient rancœurs et rivalités.
Notre établissement ressemble à ceux que nous avons visités : un endroit où la sororité et l’entraide sont de mise. Et où règnent travail et discipline. Les danseuses sont des athlètes de haut niveau. Et il faut en permanence répéter, s’entraîner et rester sain de corps et d’esprit ! Quant à la clientèle, elle n’est pas composée d’hommes à la concupiscence pénible venus se rincer l’œil. Tout le monde aujourd’hui aime assister à des revues : du couple de jeunes amoureux à celui de retraités en goguette... C’est un divertissement qui plaît à un large public hétérogène et l’ambiance y est surtout bon enfant.
Objectif que nous souhaitions aussi pour notre série : présenter avec humour et panache des personnages extraordinaires de par leur métier mais quotidiens dans leurs problématiques et en qui les spectateurs pourront donc largement s’identifier.
Entre Justine qui tente de concilier son rôle de mère et sa vie professionnelle, Teresa dont la liberté est suspendue à un secret familial fragile, Coralie qui va vivre une première passion amoureuse ou même Olympe criblée de dettes et voyageuse assidue du RER C, nos personnages sont modernes, proches du public et nous promènent à travers une multitude de décors.
Outre le cabaret et ses nombreuses ramifications, la série investit un club de sport de zone commerciale, une église où se retrouve la communauté polonaise, un bar-tabac tenu par une famille d’immigrés chinois, une paisible ville de Bourgogne labellisée Pays d’Art et d’Histoire… Autant de lieux qui permettent de radiographier une France d’aujourd’hui, plurielle et diverse.
Série chorale par excellence, Ça, c’est Paris ! offre une galerie de personnages aussi variée qu’éclectique. Une façon aussi de faire entendre des voix contraires. Comme par exemple celles des danseuses qui disposent librement de leur corps et refusent d’être traitées en objet. Ou celle de Lolita, la fille de Gaspard, qui, au contraire, juge le cabaret comme un lieu d’exhibition rétrograde.
PRÉPARATION ET TOURNAGE
Au sortir de l’écriture, j’ai fait le choix de showrunner et réaliser les six épisodes, bien conscient que j’allais être très, très accaparé.
Mais il me semblait important de pouvoir coordonner et concrétiser les intentions fixées lors de l’écriture et de dessiner la ligne artistique du projet. Pouvoir aussi poser les bases pour une suite éventuelle… Très vite, s’est imposée une mise en scène fluide, élégante qu’on pourrait presque qualifier de parisienne et qui ferait la part belle aux actrices et aux acteurs.
En choisissant Alex Lutz, je savais que notre Gaspard pourrait se métamorphoser : passer du fils à papa manquant un peu d’envergure au patron visionnaire, charismatique, capable de soulever les foules. Et qu’à chaque étape, il se montrerait crédible et à l’aise, drôle et touchant.
Autour de lui, il fallait constituer une troupe haute en couleurs. Le cabaret permettait de faire appel à des personnalités fortes, détonnantes : Nicolas Maury qui nous délecte de toutes ses audaces, Dominique Besnehard en bavard invétéré, Audjyan Alcide qui joue la volcanique Lynette (et dont c’est la première apparition à l’écran) ou même Charlotte de Turckheim ici méconnaissable dans ce look qui rappelle Andrée Putman… Tous se sont beaucoup amusés à interpréter ces personnages « over the top ».
Concernant Florence Thomassin et Galia Salimo, c’était aussi l’occasion de se replonger dans les souvenirs : je savais qu’elles avaient toutes deux travaillé à l’Alcazar, légendaire cabaret parisien, et je souhaitais grâce à elles faire perdurer cet âge d’or révolu.
Mais je dois aussi avouer que cela m’intéressait de les associer par exemple à un Darren Muselet qui joue Jordan et qu’on croirait tout droit sorti d’un film des Dardenne. Ils sont tellement aux antipodes que cela allait forcément créer de l’inattendu, et des ruptures de ton.
Mélanger les genres, assumer les contrastes c’est aussi ce qui m’a poussé à convoquer Kamel Ouali connu pour la Star Ac puis de lui demander de créer des chorégraphies sur la musique de Bertrand Burgalat, fondateur du très pointu label Tricatel. En somme, à chaque étape, j’ai aimé bouger subtilement les lignes, faire qu’on ne soit pas exactement là où on pouvait nous attendre. C’est pourquoi la banalité du quotidien est souvent ici contrebalancée par l’appel de la rêverie, la dérision des choses et l’irruption du poétique. Comme lorsque Gaspard, victime de visions, voit surgir des danseuses emplumées dans l’escalator d’un supermarché ou bien quand Monica Bellucci bloque une rue entière pour rendre hommage à La La Land. Cette soudaine féerie est à l’image de l’univers du cabaret : bigger than life !
Marc Fitoussi
FILMOGRAPHIE de Marc Fitoussi :
- 2007 : La Vie d'artiste
- 2010 : Copacabana
- 2012 : Pauline détective
- 2014 : La Ritournelle
- 2016 : Maman a tort
- 2018 : Dix pour Cent Saison 3 (épisodes Monica, Isabelle et ASK)
- 2020 : Les Apparences
- 2021 : Dix pour cent Saison 4 (épisode Charlotte, Sandrine et Sigourney)
- 2022 : Les Cyclades
- 2024 : Ça, c’est Paris ! Saison 1