Notes d'intention / Biographies
Catherine Bernstein
Réalisatrice
Aujourd’hui, plus de 80 ans après les faits, les derniers témoins disparaissent. Ils ne sont plus dans nos écoles pour raconter. Se pose alors la question : comment poursuivre ce récit ?
Or en 2006, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, en co-production avec l’INA, décide de recueillir les témoignages de 44 survivants d’Auschwitz.
Tous ont été filmés en studio, devant la même tenture sombre en velours bleu ; dans un lieu tout à la fois clos et isolé de l’environnement normal de la personne interviewée que rien ne doit distraire de la plongée en elle-même à laquelle elle est invitée.
Rien non plus ne vient perturber l’écoute.
Leurs témoignages sont passionnants et bouleversants.
Certains racontent en quelques heures, d’autres en plusieurs jours.
Au total plus de 150 heures de témoignage révèlent la variété des parcours, la singularité de chaque destin.
Les récits sont tous chronologiques : l’avant-guerre, les persécutions antisémites, l’arrestation, la déportation à Auschwitz, la « vie » dans le camp, l’évacuation, le retour et l’après. Avec les SS qui ont tout fait pour effacer les traces de leurs crimes, ils sont les seuls témoins de l’assassinat de masse et les seuls à témoigner.
Tous avaient apportés avec eux des photographies ou des documents les concernant et les avaient commentés. Il s’agit souvent des rares portraits de familles qui ont été englouties.
Trois personnes ont mené les entretiens : Jean-Baptiste Péretié, Antoine Vitkine et moi-même, Catherine Bernstein. Je n’ai pas oublié ce que ces survivants ont raconté. Leur voix, leurs accents, leurs mots, leurs émotions, leurs histoires me hantent encore. Ainsi s’est créé entre nous, entre le filmeur et le témoin ce que Geoffrey Hartman, le fondateur des premières archives filmées de témoignages de survivants à l’université de Yale en 1995, appelle un « pacte testimonial ». Nous nous sommes retrouvés les dépositaires de leur mémoire.
En les filmant de la sorte, nous avons fait naître une parole.
C’est ainsi que m’est apparu comme une évidence qu’en entrelaçant toutes ces voix, cette parole soit à nouveau entendue non pas comme un témoignage mais comme un récit, une histoire.
L’obsession de toutes les personnes qui étaient à Auschwitz était qu’il fallait que le monde sache, qu’il y en ait au moins un d’entre eux qui puisse survivre pour témoigner de l’assassinat de masse d’hommes, de femmes et d’enfants du simple fait qu’ils soient juifs.
Quelques-uns sont revenus.
DR
Vincent Sacripanti
Producteur de Kuiv Productions
Pourquoi proposer l’expérience d’Auschwitz au public sans pour autant raconter de choses nouvelles ou inédites ? Ma conviction est qu’il ne faut cesser de partager ce qui interroge notre universalité. En faisant revivre la parole des témoins qui ont aujourd’hui pratiquement tous disparus, Catherine Bernstein réussit à la réinscrire dans un récit incarné, vivant et intense, c’est la force du film. Les survivants et à travers eux, les disparus, racontent. Le film rend compte de plusieurs temporalités, individuelles et collectives, avant la déportation, la détention-extermination et l’après. Grâce à l’animation, l’espace concentrationnaire d’Auschwitz est rendu compréhensible au spectateur.
D’une certaine façon, produire ce film d’archives, c’est aussi interroger la mémoire et son usure face au temps qui passe.
En janvier 2025, nous nous souviendrons que le lieu d’extermination le plus emblématique de la folie nazie fut découvert par une poignée de soldats soviétiques. Ce sera un temps de mémoire et d’histoire partagé en Europe et ailleurs. A l’heure où nous vivons à nouveau sous la menace des radicalités politiques les plus extrêmes et les menaces de guerre, ce film nous rappelle que « le plus jamais ça » crié par les victimes et les survivants de la Shoah est plus que jamais d’actualité.
DR
Biographies
À propos Catherine Bernstein
Catherine Bernstein est née à Paris en 1964, passe sa jeunesse à Tours et fait ses études de cinéma à Paris. Après avoir été première assistante sur des longs métrages de fiction, elle réalise des courts métrages. Elle poursuit avec ses documentaires une quête quasi obsessionnelle sur les traces du passé. Elle est hantée par l’exclusion, la discrimination, le racisme, quelles qu’en soient les formes, les populations et les époques : des Juifs pendant le nazisme, des malades mentaux, des homosexuels, des Tsiganes, des Noirs... Elle a réalisé plus d’une trentaine de films, dont de nombreux ont été primés.
À propos de Tal Bruttmann
Tal Bruttmann est spécialiste de l’histoire de la Shoah. Ses travaux portent sur les politiques antisémites en France pendant la guerre, ainsi que sur la « solution finale » en Europe. Il a notamment publié La Logique des bourreaux (Hachettes Littératures, 2003) étude consacrée à la chasse aux Juifs par la Sipo-SD et Au Bureau des affaire juives (La Découverte, 2005), portant sur les administrations françaises et l’application de la législation antisémite, Auschwitz (La Découverte, 2015), et Les cent mots de la Shoah avec Christophe Tarricone (PUF, 2016). Il a également dirigé plusieurs ouvrages, dont Qu’est-ce qu’un déporté ? Histoire et mémoires des déportations durant la Seconde Guerre mondiale (CNRS Editions, 2009) avec Annette Wieviorka et Laurent Joly, ainsi que dirigé avec Claire Zalc Microhistories Of The Holocaust (Berghahn Books, New York, 2016). Son dernier livre, Die fotografische Inszenierung des Verbrechens. Ein Album aus Auschwitz (WBG, 2019 ; Un Album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Le Seuil, 2023,) écrit avec Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller porte sur l’analyse de photographies réalisées par les SS à Auschwitz et interroge l’usage des images en histoire. Il a en outre participé à la réalisation de nombreuses expositions avec le Mémorial de la Shoah, l’ONAC et diverses autres institutions en France et à l’étrangers, et servi de conseiller scientifique sur de nombreux documentaires et films.