
Déplacés, mais jamais déracinés
À partir de dimanche, NC la 1ère diffuse une série documentaire exceptionnelle signée Nunë Luepak : six épisodes de 26 minutes qui nous emmènent à la rencontre des tribus kanak de Nouvelle-Calédonie, de la Grande Terre aux îles Loyauté. Un voyage intime sur les traces des déplacements de clans, des légendes, des blessures et des racines qui façonnent encore aujourd’hui l’identité du peuple kanak.
« Il y a des choses à dire, et des choses à ne pas dire à la caméra, mais je te le dis à toi ! » Ces mots, prononcés par un grand chef kanak lors d’un tournage, résonnent encore chez Nunë Luepak, réalisateur engagé et sensible. Avec sa nouvelle série documentaire, diffusée sur NC la 1ère, il ouvre un espace rare à la parole, à la mémoire et à l’intimité de ceux qu’il appelle ses « passeurs de mémoire ».
Depuis plus de dix ans, Nunë filme son pays, explorant les racines visibles et invisibles qui tissent la société kanak. Après Imulal, Une Terre, des Racines et des Rêves (2012), où il interrogeait déjà l’avenir de la Nouvelle-Calédonie à travers le regard des jeunes, il s’attaque aujourd’hui à une histoire plus ancienne, plus profonde : celle des déplacements des clans et des tribus kanak.
Une idée née d’années d’écoute
« L’idée de cette série est née naturellement de toutes ces années passées à écouter, à rencontrer, à échanger », raconte Nunë. « Pendant ces années de tournages, je me suis aperçu que la question des déplacements de clans ou de tribus revenait systématiquement. Mais presque toujours dans nos discussions informelles autour d’un café, et bien souvent lorsque ma caméra était éteinte… » » Un titre en résonnance « avec les tertres sacrés Kanak d’où sont originaires les clans, les chefferies et les familles. Des terres liées à leurs totems et à leurs mythes fondateurs. »
Ces histoires, qui touchent à l’identité, à la douleur parfois, mais aussi à la force de transmission, trouvaient enfin leur place dans un projet audiovisuel pensé pour elles. À travers six aires coutumières, des îles à la Grande Terre, Nunë Luepak nous emmène sur les traces de ces récits : certains liés à l’histoire coloniale ou religieuse, d’autres aux mythes, aux légendes, aux rencontres entre cultures.
Le territoire comme mémoire vivante
Pour le réalisateur, comprendre ces déplacements, c’est aussi apprendre à lire le territoire autrement. « On peut lire aujourd’hui le cheminement d’un clan à travers un mot, un lieu-dit, une rivière, une montagne, un arbre ou une crevette », explique-t-il. Le paysage calédonien, riche de noms et de symboles, est une carte vivante où chaque élément porte l’écho d’un passé, parfois tragique, mais toujours porteur de sens.
Et lors du tournage, les signes sont partout. À Canala, par exemple, l’équipe filme au drone un tertre sacré où, selon la légende, veille un aigle mi-homme mi-oiseau, Dadasö. « Alors devinez qui nous est apparu dans les airs… », sourit Nunë, qui voit dans ces rencontres magiques un signe qu’il est « sur le bon chemin », guidé par « l’esprit des vieux ».
Un fil tendu entre les générations
Pour Nunë Luepak, ce travail dépasse le cadre d’un simple documentaire. Il s’agit d’une œuvre de transmission.
« Beaucoup de nos anciens sont malheureusement partis, des histoires et des savoir-faire se sont perdus, et beaucoup de paroles se sont tues par manque de confiance et de légitimité à raconter ces histoires », confie-t-il.
Aujourd’hui, il souhaite tendre ce fil entre les générations, rappeler aux plus jeunes qu’ils sont porteurs d’une mémoire qui les dépasse et les relie : « Il faut aller à la recherche de sa propre histoire, même si cela peut prendre une vie entière. Cela doit faire partie de l’avenir de nos enfants pour qu’ils puissent se respecter et vivre ensemble… »
Soutenir une œuvre de mémoire
Au-delà de l’émotion, cette série est aussi une invitation. Une invitation adressée à tous les Calédoniens, kanak et non-kanak, d’ici et d’ailleurs, à s’immerger dans une histoire plurielle, à écouter ces voix longtemps tues.
« Soutenir cette série, c’est investir dans une œuvre de mémoire, de transmission et du patrimoine audiovisuel kanak, appelée à rayonner bien au-delà de la Nouvelle-Calédonie », insiste Nunë. Derrière la caméra, il n’est pas qu’un observateur : « Je suis aussi Nunë enfant Kanak », dit-il avec humilité. La confiance qui lui est accordée pour filmer, il la considère comme un trésor sacré.
A partir du dimanche 8 juin, 18h50, en TV, sur le site www.la1ere.nc et france.tv