Sous ses airs de grand classique nostalgique déjà vu cent fois et ses personnages qu’on pense connaître par cœur, Belfort & Lupin est une histoire bien plus personnelle qu’il n’y paraît… Car cette histoire est la rencontre de trois univers qui me passionnent : Versailles, les longs-métrages d’animation qu’on appelle grands classiques et mon histoire familiale.
Comme beaucoup d’enfants, j’ai découvert l’existence de Versailles et du Roi-Soleil dans mon manuel scolaire de CM1. Le château me fascine depuis. Certains diraient qu’il m’obsède, mais c’est faux ! Promis. L’année de mes 21 ans, j’ai intégré l’école de cinéma 3IS de Trappes (78) et j’ai ainsi pu me rendre à Versailles pour la première fois. Ç’a été le coup de foudre. J’ai visité le château et les bosquets une bonne centaine de fois, et allez savoir pourquoi, à la cent-unième visite, un détail m’a sauté aux yeux : les animaux sont partout ! Dans les tableaux, les tapisseries, les sculptures, les moulures, le marbre des cheminées, les dorures... À l’époque de Louis XIV, Versailles pullulait d’animaux en tout genre : chiens et chats de compagnie, chevaux des écuries… rats dans les cuisines, souris dans les perruques, mais aussi… éléphants, autruches et fauves de la Ménagerie royale, un lieu d’émerveillement qui n’existe plus aujourd’hui. La découverte des tableaux colossaux d’Alexandre-François Desportes représentant les épagneuls français du Roi-Soleil fut un véritable déclic…
« Tiens ! Et si on racontait Versailles… du point de vue du chien de Louis XIV ? »
Pour l’élaboration du concept et notamment l’opposition entre ces deux mondes radicalement différents (les animaux domestiques vivant à l’intérieur du château, et les animaux sauvages de la nature), mes parents ont été la principale source d’inspiration… Mon père est issu d’une famille de la petite bourgeoisie de la ville de Belfort (…). Ma mère, elle, est née dans l’une des caravanes d’un campement gitan. Pour beaucoup, l’union de mes parents relève du mystère quantique, c’est pourquoi j’ai toujours été grand amateur des comédies romantiques qui racontent cette rencontre improbable mais vraie : des Artistochats à Titanic en passant par Rox & Rouky, La Belle et le Clochard, Pretty Woman, Amicalement vôtre… Bref ! La liste est longue comme le bras. Cette série ne réinvente donc pas la poudre, certes. Elle parle, elle aussi, du carcan social (doublé du carcan psychologique), qui empêche chacun de mener son existence comme il le souhaite, de nouer des liens avec qui il le souhaite. Dans Belfort & Lupin, ce carcan s’appelle l’Étiquette de Versailles. Et même si cette Étiquette a disparu aujourd’hui, ce clivage social n’en demeure pas moins actuel : mes cousins paternels s’interdisent de porter des t-shirts parce que c’est pour les beaufs et mes cousins gitans se désintéressent des études ou s’interdisent d’entrer dans un musée parce que c’est pour les bourges… Belfort et Lupin, eux, préfèrent être libres de faire ce qu’ils souhaitent, tout simplement.
Pour la création de ces deux héros, j’ai eu à cœur de présenter des personnages dotés de véritables failles psychologiques, support émotionnel tout au long des épisodes : Belfort est un « piètre » chien d’élite, dépourvu d’odorat, moqué par les chiens royaux pour sa trop grande sensibilité. Lupin est un loup, craint et critiqué par les autres animaux, un orphelin en recherche d’un foyer affectif. Là encore, ma famille a été une inspiration : ayant grandi partagé entre deux univers radicalement opposés, je suis un manouche pour la moitié de mes cousins, et pour l’autre moitié, un gadjo. Ainsi, bien qu’appartenant chacun à leur monde respectif, Belfort et Lupin sont tous deux des moutons noirs au sein même de leur propre famille. Ces deux failles psychologiques sont la clef de voûte de l’amitié de nos deux héros, en résultent leur sens unique de l’empathie et leur désir de venir en aide à tout un chacun, quelles que soient ses origines sociales.
De nombreux projets d’animation mettent aujourd’hui en scène des personnages complémentaires grâce à leurs compétences et talents respectifs… Belfort & Lupin fait de même, mais en assumant volontiers que les compétences et talents de chacun peuvent résulter d’une origine sociale. C’est pour moi une façon de dire à l’enfant spectateur que, quel que soit le milieu duquel il est issu, il a sa place dans la société, il a des talents que d’autres n’ont pas, et qu’il ne vaut pas moins – ni plus – qu’un autre. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai voulu la taille des deux héros parfaitement similaire. Un contraste de taille dans ce binôme aurait immanquablement instauré un ascendant de l’un sur l’autre, voire une supériorité intellectuelle de l’un ou de l’autre (pensez à Astérix et Obélix, Laurel et Hardy…). C’était impensable ici, car Belfort & Lupin n’est surtout pas conçu pour vanter un modèle plutôt qu’un autre, une classe sociale plutôt qu’une autre, encore moins pour promouvoir le retour à la monarchie, ou expliquer l’ascenseur social aux enfants spectateurs. Il s’agit avant tout d’une initiation à la tolérance et à l’empathie : apprendre à connaître celui ou celle qu’on croyait si différent, et comprendre qu’il ou elle vit en réalité les mêmes problématiques que soi.
Grand amateur des grands classiques de l’animation (ces dessins animés, notamment disneyens, qui ont bercé l’enfance de bon nombre d’entre nous), il était important pour moi d’inscrire cette série dans la lignée de cet héritage, à la fois narrativement et visuellement. Ainsi, les aventures trépidantes de Belfort & Lupin ménagent suffisamment de place à l’émotion : dans l’écriture de nos histoires, nous ne craignons pas d’émouvoir pour de vrai, quitte à faire verser une larme, ou même effrayer un peu parfois. La tristesse et la peur, souvent boudées dans les séries jeunesse, ne sont pas des émotions négatives. Elles témoignent avant tout de l’empathie du spectateur pour le personnage.
La fibre historique de la série est évidemment très présente. Passionnée des petites histoires qui font la grande Histoire, j’ai souhaité raconter un Versailles que les enfants auraient plaisir à raconter à leur tour, plein d’anecdotes amusantes et de faits étonnants. Oui, Diane, Tane, Ponne, les véritables chiens du roi, avaient bel et bien un valet nommé Bazire. Oui, une éléphante pouvait bel et bien se promener dans les bosquets de Louis XIV… Pour autant, Belfort & Lupin est une série fortement documentée, mais pas documentaire ! En ce sens, l’aspect pédagogique ne prend jamais le dessus sur l’aventure de nos héros. Le merveilleux château du Roi-Soleil n’est, finalement, qu’un très bel écrin pour des aventures riches en péripéties et des histoires universelles.
La série sera portée à l’écran par le réalisateur Philippe Vidal, lequel est fort d’une formidable expérience en animation traditionnelle 2D et 3D, et dans la mise en scène de personnages animaux. Sa grande passion pour l’Histoire et sa réelle sensibilité aux thématiques émotionnelles abordées dans la série font de lui le réalisateur parfait pour ce projet. La direction artistique signée par la talentueuse Justine Cunha assume pleinement l’aspect joliment désuet (mais intemporel) du fameux grand classique tout en dotant les décors et les personnages d’une vibrante modernité. Avec Ellipse Animation (à qui je dois personnellement bon nombre des séries qui ont bercé mon enfance et qui ont forgé mon amour pour l’animation), Belfort et Lupin n’auraient pu rêver meilleure maison pour se dégourdir les pattes !
Teddy J. Stehly