La liberté ne se donne pas. Elle se conquiert. Voilà une affirmation qui sied très bien à notre propos du jour. En effet, les personnes esclavisées ne se sont jamais résignées à leur condition servile. Dès lors, à Mayotte, comme partout où l’esclavage a sévi, des personnes se sont dressées contre cette entreprise de deshumanisation et d’asservissement. En somme, les esclavisés ont résisté, c’est-à-dire que ces derniers ont développés des stratégies pour recouvrer leur liberté sinon, plus ambitieux encore, pour briser le système à l’origine de leur présence à Mayotte.
Qu’en est-il des actions mises en œuvre par les esclaves mahorais ?
La plus éclatante est le marronage, c’est-à-dire la fuite. La figure du marron cherchant la liberté, fuyant les mauvais traitements et les conditions de vie minables, est connue à Mayotte sous la dénomination de muturo. Dans l’imaginaire populaire mahorais, il est accablé de tous les maux. Tantôt tueur sanguinaire, tantôt voleur et enfin, violeur, le mutoro est érigé en monstre croquemitaine redouté.
L’ampleur du phénomène reste très difficile à mesurer que ce soit durant l’esclavagisme oriental ou sous la période de l’engagisme qui s’ouvre à partir de 1847. On peut tout de même observer que lors de la liquidation du système esclavagiste arabe en 1847, Mayotte compte 28 watoro déclarés, dont 11 femmes et 17 hommes sur une population servile estimée à 2733 individus. Les esclavisés, en rupture de ban, s’évadent par la mer au moyen de pirogues ou de boutres volés. D’autres se réfugient dans les forêts et les montages de l'intérieur de l'île où ils fondent des "tobe", véritable hameau de marrons.
Sous le régime de l’engagisme durant la colonisation française, le marronnage prend une ampleur considérable. Ainsi, dans les années 1867-1869, une habitation qui compte 200 à 300 engagés ne réunit jamais plus de 150 sur le lieu de travail, en raison des multiples fuites.
A cette forme individuelle du refus de la soumission, s’ajoute des actions collectives et violentes.
La lutte violente contre l’esclavage est mieux documentée durant la colonisation française.
La première révolte, en terre mahoraise, éclate à la fin de l’année 1847. En effet, les esclaves tout fraîchement affranchis prennent les armes pour contester leur libération sous conditions à la suite à l’ordonnance royale du 9 décembre 1846. Les révoltés refusent l’engagement obligatoire qui leur est assigné auprès de propriétaires locaux, européens ou encore de l’administration coloniale.
La deuxième insurrection a lieu en mars 1856. Les engagés africains, malgaches et certains autochtones réfractaires au travail forcé se soulèvent pour protester contre la contrainte, les châtiments corporels, le manque de nourriture. Ils saccagent les habitations créant un vent de panique chez les planteurs. La révolte est matée dans le sang avec un bilan de 7 tués, 1 blessé et 21 prisonniers. Les principaux chefs sont condamnés à mort mais un seul subi la peine capitale. Il s’agit du dénommé Bakary Koussou. Les autres sont exilés à La Réunion ou condamnées à des peines de travaux forcés. La série des mutineries se poursuit, en 1866, à Dzoumogé et 1876, à Soulou, regroupant respectivement 300 et 200 engagés.
A côté des révoltes, les meurtres et les refus de travailler sont des moyens pour se venger des bourreaux.
Des crimes sont perpétrés contre les agents de l’administration coupables de violences et de brutalité à l’encontre des travailleurs engagés.
D’autre part, les refus de travail sont très répandus. En 1851, le gouverneur Bonfils constate qu’ « il y a des villages où l’on ne rencontre même pas un Noir qui consente à s’occuper d’un arbre moyennant salaire. »
Enfin, le sabotage des outils de travail, la mise à feu des champs de cannes font partie de la panoplie des formes pour affaiblir le système.
Les déportés africains et malgaches débarqués à Mayotte ne sont pas des feuilles blanches sur lesquelles les maîtres impriment une partition d’acculturation. Au contraire, ils sont porteurs de musiques, de chants, de danses, de croyances, de savoirs et de coutumes. Dès lors, les opprimés ont fait preuve de résistance à la déculturation totale que leur impose la contrainte. Les chants et les danses mahoraises, vestiges de la résistance culturelle, sont à la fois amusement et refuge contre l’oppression. Les Mozambicains nous ont légué le magandja, le shakaha ou mseke, véritable polyphonie mixte, qui autour d’un feu ou au clair de lune évoque le dure quotidien des travaux des champs ou encore l’amour. La résistance s’organise, également, autour du murenge, combat à mains nues originaire d’Afrique. Loin d’un simple pugilat, ce combat est une expérience musico-chorégraphique mais aussi une expression identitaire régulant les tensions et violences entre individus.
Présentation
Inssa De Nguizijou
Réalisation
Mayotte la 1ère
Durée
6 minutes
Année
2023